D’après DMUM
Delaunois Kathleen
 
Nous sommes début du mois d’août.
Un mois qui logiquement doit respirer les champs de blé, les odeurs des tournesols et la chaleur du soleil d’été. Les oiseaux sifflent une mélodie avenante et enjouée sur un fond de rap digne d’un festival très connu de la région. Le temps est agréable. Le paysage, qui se fondant dans un ciel bleu azur sans aucun nuage à l’horizon, est à perte de vue.
Je me balade à travers les rues de ma cité. Un quartier assez chic, un peu trop bourge à mon goût, ensemencé de belles bâtisses. Les jardins sont fleuris et les pelouses sont tondues.
Tout est soleil !
Deux enfants passent en coup de vent, pédalant comme des fous, manquant de me renverser. Quant à elle. Elle est là, devant moi !
Je m'avance doucement vers cette gamine.
Elle doit avoir six ou sept ans, pas plus. Elle se promène, tranquillement, savourant un cornet de crème à la vanille. Vêtue d'une robe rouge à volants, laissant apparaître d’interminables jolies jambes aussi fines que des baguettes de pain dites ficelles. Ses pieds superbes sont quant à eux désastreusement enfermés dans des sandalettes en cuir.
Elle est attrayante.
Ses cheveux d’un blond cendré, ses yeux vert amande illuminent son petit minois. Elle sourit et me regarde tout en léchant sa glace.
Elle me donne envie, me met en appétit. Je sens en moi une décharge électrique, une montée d’adrénaline. Un désir de lui arracher sa robe, de caresser, de me délecter du parfum de sa peau nue en léchant le musc de son enveloppe charnelle. La croquer comme on mord à pleines dents dans une pomme verte. La savoir vierge de tout désir masculin, d’ardeur et de foutre réveille en moi une pulsion animale et perverse.
Je m’approche d’elle. Mon sexe se tend et confirme cette libido assez particulière.
Mais… que j’apprécie cette convoitise !
Je lui souris. Lui dit qu’elle est magnifique.
Elle s’arrête, me regarde tout en continuant à sucer cette boule qui n’est pas la mienne.

Je l’invite à me suivre.
Sa tête se penche légèrement sur la droite. Elle ne répond pas à ma demande.
Je ne suis plus qu’à quelques mètres d’elle.
Ma voiture est garée tout près.
Cela ira vite.
Soudain, une vieille dame surgit et me toise. Une vielle rombière avec son tablier de cuisine défraîchi, un fichu sur la tête à carreaux et une spatule en main.
Elle crie !
Je fuis.
Une fois de plus, je me réveille tout en sueur. Les draps sont trempés.
J’ai fait un rêve. À nouveau ! Ou plutôt un cauchemar.
Je n’en puis plus !
Je file aux toilettes vomir cette bile qui s’élève en moi. Je me dégoûte. Comment puis-je songer de la sorte ? Il faut vraiment avoir l'esprit tordu, malsain, être possédé par Satan, par l’esprit du mal (mâle) ou devrais-je dire être un animal en rut pour avoir de telles pensées.
Mon café a du mal à passer. Je n’ai plus faim.
Une insupportable céphalée naît. Je laisse tomber deux Dafalgan® dans un verre d’eau que je bois cul sec.
Je ne peux continuer de la sorte.
Passer de telles nuits me rend fou.
Chaque jour, je redoute le moment où, le soir venu, je devrais fermer les yeux. Je suis épuisé.
Je ne compte plus ces délires.

Le premier rêve me renvoyait à décapiter, d’un coup de dent, Lapin blanc, personnage légendaire de Walt Disney. Je me régale de son sang, jouant avec ses tripes et boyaux. Je suis nu et me badigeonne le corps du liquide rougeâtre sortant de la bête. Une érection prend naissance. Un sourire se lit sur mon visage en songeant à la tristesse d’Alice, jolie et jeune fille blonde, ayant participé à son histoire. Et… Je me réveille.
Le deuxième est apparu une semaine plus tard.
Je conduis une antiquaille grise de marque. Sourire sadique. Un vieux boitant et poussant son caddie sur le bas-côté. Il peine. Je vais par empathie abréger sa souffrance. Je lui fonce dessus, le renverse et comme cela ne suffisait pas, j’embraye et enclenche une marche arrière pour repasser une fois de nouveau sur ce corps inerte.
Cent cinquante points s’ajoutent à mon score initial. Son caddie renversé. Une salade termine sa course dans la rigole. Des œufs cassés, laissent répandre un mix de jaune et de liquide visqueux. La bouteille de lait file droit devant et descend la pente de la rue. Je ne reconnais pas l’endroit. J’augmente le son de la radio. « Funeral of Queen Mary », chanson très célèbre du film Orange Mécanique, à fond la caisse. Je me vois sourire dans le rétroviseur.
Je ne tiens plus sur mes jambes, je suis irritable. Tout m’énerve. J’erre dans la ville tel un clochard centenaire.
Un seul constat : la violence augmente de rêve en rêve. Moi, qui suis de nature calme, assertif, empathique, travaillant dans le domaine social et bénévole à la Société Protectrice des Animaux, je ne me reconnais plus.
Je tombe de fatigue. Je rentre chez moi et m’assieds quelques instant dans mon Chesterfield. Mes yeux se ferment trente secondes. Secondes durant lesquelles j’entends ce rire satanique qui habite en moi. Je me réveille en sursaut.

Il est l’heure. L’heure de prendre mes médocs. Je laisse la lampe de chevet allumée.
Par peur. Peur de repartir dans ce monde violent, satyre d’une société moderne où la justice ne fait plus loi. Celle où Alex DeLarge[1] est le seul maître. Lui et ses comparses sèment la terreur dans la ville. Ultra violence devenue légion, climat malsain et dérangeant auxquels la population doit faire face. Psychopathes, tueurs en série, jeunes cons sont les acteurs de la vie. Le purgatoire, à côté, n’est rien.
Que faire ? Que dire ? Que penser ?
Certains imiteraient les trois singes.
Je ne vois rien, je ne dis rien, je n’entends rien.
Pas moi !
Malheureusement, je n’ai pas le choix. Tributaire d’un rôle que je n’ai pas choisi, me voilà acteur principal jouant en enfer.
Ma tension diminue de jour en jour. Je deviens blanc. J’en arrive à avoir la peau sur les os qui me renvoie automatiquement vers le bestseller de Stephen King. Un boulimique, devenant squelettique, après avoir par accident renversé une gitane. Elle lui a insidieusement jeté un sort.
Quel mal, quel acte odieux ai-je commis pour subir ce maléfice ?
J’ai beau réfléchir, je n’en m’en souviens pas.
Les minutes passent, les heures défilent. Il est temps de me glisser sous la couette et d’essayer de choper ce fameux marchand de sable en le suppliant de m’apporter des rêves roses où se côtoient licornes et elfes plutôt que ces effrayants cauchemars aux monstres adipeux.
Mon Temesta:registered: en bouche, je tombe dans les bras de Morphée et pars pour un long voyage nocturne.
Je me retrouve dans une pièce sale, noire et lugubre. Une femme nue est allongée sur une table. Ses mains et pieds sont attachés par des Colson® et des chaines. Un attirail mécanique me permet de l’écarteler. Acte que je m’empresse de faire. Sourire aux lèvres, je vois son maquillage couler. Elle pleure, elle crie. Plus j’entends ses sanglots plus je jubile. L’ivresse et l’euphorie me gagnent. Je suis à nouveau dépourvu de mes vêtements. Je me sens bien. Je la regarde et tends un peu plus ce mécanisme, acte qui m’excite. Les os de cette créature divine craquent les uns après les autres. Je caresse ses seins, joue avec ses cheveux, l’embrasse goulument. Je monte sur la table et la pénètre. Encore et encore. Elle cherche à se débattre mais plus elle essaye de s’enfuir, plus les cordes se tendent et ses membres se désarticulent. Elle rentre dans un semblant de coma. Je ne me retiens plus et enfin, je jouis en elle. Je suis en transe. Je tends mon bras droit vers un fer rouge tout à coté sur l’établi et tatoue ma marque sur ce corps condamné : « Tu es mienne ».

Je sursaute.
Une fois de plus, j’ai fait un rêve.

Je file vomir de nouveau. Je frissonne malgré la chaleur de la salle de bains. Je frémis. Mon cœur s’emballe. Tachycardie. Tout mon corps tremble. Mes jambes flageolent, mes dents claquent. Ma tête se courbe doucement vers l’avant, je me laisse glisser sur le carrelage.
J’ai peur. Je veux mourir. Ne plus avoir ces visions d’horreur. Ne plus participer à ces crimes nocturnes, abjects, répugnants et crapuleux.
J’essaye de me calmer. De recouvrer mes esprits, mon bien-être. Quelques minutes passent. Je me relève. Doucement. Je rassemble mes dernières forces et me dirige vers mon bureau. J’allume mon ordinateur.
Il est trois heures du matin, Morphée et le marchand de sable s’enfilent whisky et téquila. Ils doivent bien rigoler, se fendre la poire. À la différence, c’est que personnellement, je ne peux plus boire une seule goutte d’alcool.
Je me sers donc un grand verre d’eau bien fraiche et envoie un mail à ce fameux spécialiste, le psychiatre, Dr Reudak [2].

Docteur,
Presque chaque nuit, je cauchemarde. Je me pose pas mal de questions. Depuis janvier, date de l’intervention, j’ai appris à aimer les fast-foods, les bonnes grillades, alors qu’auparavant, j’étais végétarien. Je ne m’habille que de jeans et pulls, mon dressing n’était jusqu’alors constitué que de costumes, chemises et pantalons en lin. Ces changements ne m’ont pas dérangé en soi, mais avec les épisodes et les visions répugnantes que je vis chaque nuit, j’en arrive à redouter les phases de sommeil. J’aimerais mettre un mot sur ce mal qui me ronge.
J’ai lu pas mal d’articles sur le sujet et également sur l’épi-génétique. La cornée qui m’a été greffée peut-elle être celle d’un psychopathe, tueur en série, qui me renvoie aux visions de  ses actes une fois la nuit tombée ? »
Cette nuit, j’ai à nouveau fait un rêve…