La nuit était tombée sur les ruines de ce qui était encore il y a quelques mois une forteresse réputée imprenable. Peyrepertuse, immense vaisseau de pierre perché dans les hauteurs d'une succession de falaises se mélangeant avec les nuages. Semblant ne faire qu'un avec la roche, cette forteresse de pierre avait été le refuge pendant un temps de ceux qu'on appelait les hérétiques, les vilains, les cathares. Hérétiques parce qu'ils avaient eu le tort de contester un dogme, contester une façon de pratiquer une croyance. Du haut des remparts, s’étendaient les immensités sauvages de la terre Occitane. Une brise légère apportait un peu de fraîcheur bienvenue, après une journée brûlante. Pas un bruit ne venait troubler la nuit, seul le sifflement léger de la brise qui se transformait en vent se faisait entendre. Comme si la nature avait été elle aussi réduite au silence. Au loin, on pouvait apercevoir à certains endroits des lumières rougeâtres qui s’élançaient doucement vers le ciel, accompagnées de fumées légères. Le feu des bûchers, le rouge de la répression, le rouge couleur de la mort. On ne pouvait entendre les derniers cris des suppliciés, mais ce silence environnant et presque surnaturel était aussi dérangeant que la plupart des cris d’hommes. La nature était en deuil silencieux. Comme si cette terre, autrefois pleine de vie, pleine de tolérance et de chansons, rendait hommage à ses enfants perdus et emportés par la folie d'hommes venus d'ailleurs.  Les fumées et les lumières rouges montant vers le ciel étaient les larmes de cette terre meurtrie. Les plaintes des hommes des femmes et même des enfants, emportés dans la tourmente de la croisade résonnaient dans ce silence assourdissant.
A travers une fenêtre d'une des tours du château, les yeux gris d'Aimeric étaient plongés dans la nuit faussement paisible. Son esprit le ramenait à l'époque ou petit garçon il aimait parcourir ces immensités sauvages pendant des journées entières. Il se revoyait, gambader de village en plaine, de forêts en ruisseaux, innocent et rêveur. Plutôt solitaire comme enfant, il s'imaginait des histoires, bercé par les chants mélodieux des troubadours qu'il croisait au détour des villages. Il rêvait d'aventures, il rêvait d'exploration, mais jamais il n'avait rêvé de devenir comme son père un chevalier au service d'un puissant seigneur comte. Jamais il n'avait joué a la guerre avec son frère, jamais il ne s'était fabriqué d'épée en bois. La violence des hommes ne l'attirait pas, comme toute forme de violence d'ailleurs. Ses modèles imaginaires étaient les héros des chansons d'amour courtois que déclamaient ces hommes fantasques et exotiques, qui parcouraient la campagne à la recherche de qui voudrait bien les écouter. Peut-être qu'il avait rêvé un jour lui aussi de parcourir cette terre d'Oc au hasard des rencontres, vivant de chansons et d'histoires d'amour qu'il aurait imaginées. Mais ces doux rêves d'enfant lui paraissaient bien loin cette nuit-là. C'était devenu un autre homme, plus renfermé, moins poétique, la brutalité de ce qu'il avait vécu l'avait transformé. Abandonnant le paysage, son regard se porta sur son épée posée contre un rocher. Dans l'acier de la lame, il était gravé quelques mots en latin.  Dieu reconnaîtra les siens. Cette nuit-là de juin 1218, il décida que cette devise qui l'avait fait commettre les pires choses depuis bien trop longtemps déjà, ne serait plus la sienne désormais. Dans la nuit de Peyrepertuse, il décida de laisser son passé derrière lui. Il avait tué, il avait pourchassé, il avait plus de sang sur les mains que beaucoup d'hommes de ce temps-là. Tout ce qu'il avait fait, il l'avait fait au nom d'un idéal, d'un mirage, d'un dogme. On lui avait promis la rémission de ses pêchés, on lui avait promis le paradis. Au nom du dieu de paix et d'amour, on l'avait lâché tel un chien enragé sur ces populations parmi lesquelles il avait pourtant grandi. Au nom de ce dieu aimant et tolérant, il avait mené des hommes et des batailles qui avaient ravagées sa terre natale. Cette religion, corrompue par un discours de conquête, l'avait mené directement sur le chemin de l'enfer. Cette nuit-là, il allait disparaître aux yeux de tous les hommes.  Il savait qu'en prenant une telle décision, il mettrait sa vie en danger, et la vie des quelques compagnons qui lui étaient fidèles en danger aussi.
Il savait que le serment qu'il s'apprêtait à faire prêter à ses compagnons d'armes allaient faire d'eux exactement ce qu'ils avaient traqués et détruits pendant ces mois, ces années de croisade : des hérétiques. Franchir ce pas c'était pire que signer son arrêt de mort. C'était devenir aux yeux de ceux qui l'accompagnait et qui l'avaient fait monter en grade un chien malade qui se retourne contre ses anciens maîtres. Il fallait agir vite, il fallait s'entourer de gens de confiance pour s'assurer d'une fuite et d'un espoir de survie plus que minime. En le perdant, la répression des hérétiques allait perdre son atout majeur. Il faudrait trouver quelqu'un d'aussi important pour le remplacer.  La trahison serait à la hauteur de son rang et de son importance. C'était lui qui avait remplacé Simon de Montfort après sa mort sous les remparts de Toulouse quelques jours auparavant. Simon, la terreur des populations Occitanes, le bras armé de l'église et de son pape, Innocent III. Celui qui avait porté le fer et la destruction partout où son armée passait. Il avait instauré un régime de terreur et de soumission à ces populations accusées d'indulgence avec les " parfaits " Cathares.  C'était lui qui avait été choisi par le légat du Saint Père, Arnaud Amaury. Désigné chef des croisés par sa dévotion totale à la cause de l'église. Par son expérience au combat auprès de Simon, auprès de tous les seigneurs de guerre du Nord de la France. Par son histoire personnelle, par sa mère qu'il avait juré de venger des " bonshommes " qui avaient croyait il avait corrompu son esprit au crépuscule de sa vie. Sa haine des Cathares avait fait de lui le chef idéal pour les traquer et les détruire jusqu'au dernier d'entre eux.
Mais comme tout être humain, Aimeric avait ses faiblesses. Son frère, Jean. De cinq ans son cadet. Jean avait épousé la cause des " hérétiques".  Après la mort de leur mère et la disgrâce de leur père, les deux frères avaient été séparés par leurs causes, leurs croyances. Cette nuit-là, il décida d'aller à la recherche de son frère, qu'il n'avait pas revu depuis des mois. Il savait que c'était ce qu'il lui restait à faire. Et sa deuxième faiblesse, Constance, l'amour de sa vie. Constance aussi était acquise à la cause des Cathares. Pourtant interdite d'amour charnel, de sentiments, elle avait trahi sa philosophie religieuse par amour pour lui. Il devait les retrouver, il devait leur faire comprendre qu'il avait rejeté sa cause, rejeté ses croyances qui l'avaient rendu aveugle trop longtemps. Il ne savait pas où ils étaient, il ne savait même pas s’ils étaient encore vivants. Étaient-ils loin, étaient-ils prisonniers quelque part dans une prison au fond d'un donjon ?  L’attendaient-ils encore, croyaient-ils encore en lui, à ce qu'il était toujours au fond de lui véritablement. Accepteraient-ils de lui parler, de supporter sa présence. Des mois, des années durant, il avait été déchiré entre son amour et son devoir et ses croyances qu'il pensait justifiées. Cette nuit-là, il décida de faire pour une fois la seule chose qui lui importait véritablement.
Une voix le tira brutalement de ses réflexions. Celle de son premier lieutenant, Arnaud. Des hommes approchaient en contrebas du château. Des hommes en armes, avec des torches. Ces hommes portaient sur eux les armoiries du pape Innocent. Ils avaient été très certainement envoyés par le légat, Arnaud Amaury. Quoi qu'ils soient venus lui porter comme message, comme instructions, ils les connaissaient d'avance. Traquer, détruire, tuer. Il ne fallait pas que les hommes du légat puissent être témoins de cette fuite, de cette trahison sans retour possible. Il fallait que ses hommes choisissent, c'était maintenant. Le jour levé, il serait trop tard, ceux qui auraient acceptés de le suivre dans cette folie seraient tous en état d'hérésie et ils seraient déjà morts. Attrapant son épée, il suivi Arnaud et avança pour rejoindre ses hommes quelques mètres en contrebas. Le voyant descendre lentement, épée à la main, certains d'entre eux avaient déjà compris le choix qu'ils allaient devoir faire. Les hommes du légat progressaient, et entamaient l'ascension qui les mèneraient aux portes du château. Le choix le plus difficile de son existence était maintenant. 
Thibault de Montfort avançait tant bien que mal sur un sentier étroit qui menait aux portes de la forteresse. D'une main il portait une torche qui non contant d'être à la limite de lui brûler le visage, limitait fortement son champ de vision. Il avançait encore plus lentement, coincé entre la roche, les feuillages, et à sa droite un précipice. Son autre main était posée sur le fourreau de son épée qui était prête à être tirée à tout moment. Derrière lui dix hommes avançaient en file indienne, avec un sur deux qui éclairait le chemin avec une torche.  L'ascension était pénible, dangereuse, et lente. Il n'avait jamais vu le château de jour, et encore moins de nuit. Ils avaient cavalé à bride abattue durant deux jours et deux nuits pour arriver enfin en vue de Peyrepertuse, pour porter un message de la plus haute importance au nouveau chef de l'armée croisée, Aimeric. Alors qu'il enrageait intérieurement contre la difficulté de l'ascension, Thibault ressassait ses pensées. C'était à lui qu'aurait dû légitimement revenir ce commandement suprême. Lui, fils du grand Simon de Montfort, qui avait été chaque jour derrière le chef de guerre, qui avait appris et combattu plus que quiconque aux côtés du chef des armées croisées. Il se revoyait encore a plat ventre, étalé de tout le poids de sa côte de maille, l'acier de son casque embrassant le sol glacial de la cathédrale de Béziers quelques mois auparavant. Les yeux fermés, il avait entendu aux côtés de son père le légat du Saint - père Arnaud Amaury Les paroles du légat étaient entrées en lui, elles l'avaient transcendé, chaque mot, chaque phrase avaient envahi son esprit et son cœur.  Lui qui toute sa jeunesse, avait souffert des absences de son père parti aux croisades. Enfin, enfin on lui donnait la possibilité de prouver sa valeur. Enfin il pouvait être réuni avec son père, par la grâce du Saint-Père le pape Innocent. C'était dieu lui-même qui les avaient réunis. Il leur offrait cette chance de combattre ensemble en son nom.  Il avait vu la déchéance de son père, revenu de terre Sainte après l'échec de la quatrième croisade et la mise à sac de Constantinople. Relégué dans un obscur domaine au nord de Paris, Simon avait passé des années à accumuler sa frustration de ne pas combattre. Il était devenu morne, errant dans les couloirs de son petit château, il était devenu l'ombre de lui-même. Et puis, et puis la libération était arrivée enfin. Enfin on lui avait donné un but, une mission. Thibaut avait vu les yeux de son père à nouveaux envahi par cette flamme, cette vie, qui avait quasiment disparue.
 
C'est sous les remparts de Toulouse, que Thibault devînt orphelin. Il n'était pas là, quand cette pierre jetée du haut des remparts avait fracassée l'armure de son père à l'abdomen. Il aurait été prêt à monter à l'assaut des remparts tout seul si la confusion, puis la déroute des chevaliers croisés privés de leur chef ne l'avait pas fait quitter le champ de bataille. On lui avait dit alors que le commandement de son père si il venait à disparaître, était de nommer cet Aimeric, pour prendre la tête de l'armée. Au début, il avait refusé. Jamais il n'accepterai d'être sous les ordres du fils d'un petit seigneur occitan. Petit seigneur dont le deuxième fils était un hérétique, qui avait tourné le dos au véritable, au seul dieu. A force d'insister, il avait réussi à convaincre le légat de remettre en jeu le commandement de l'armée croisée entre les deux jeunes hommes. C'était le message d'Arnaud Amaury. Les chevaliers avaient plébiscité le fils de Simon, ils avaient loué sa bravoure au combat, sa dévotion, sa croyance. Qui d'autre que le fils d'un chef de guerre, pour prendre le contrôle du bras armé de l'Église et réprimer comme ils le méritaient les hérétiques.  Cette nuit, Aimeric allait apprendre que le légat du Saint-Père remettait en question sa légitimé de commandant. La tête de l'armée croisée reviendrait à celui qui ferait tomber un autre refuge Cathare, une autre forteresse du vertige, Quéribus.  Mais il n'en allait pas être ainsi. C'est Aimeric, qui avais insisté pour que Thibault reste en retrait, pour qu'il puisse escorter son père sous les remparts. Il lui avait dit et répété que les assiégés étaient sur le point de céder et de rendre la ville aux croisés. Que personne n'oserait s'en prendre au chef des croisés. Personne au monde n'était plus confiant que cet Aimeric. Personne n'était plus sûr que s'approcher des remparts était sans danger.  Il avait même ordonné aux sergents d'armes qui escortaient toujours leur chef de rebrousser chemin.  Et Simon avait accepté. Si Thibault avait été là, il en était convaincu, le drame aurait pu être évité. C'est lui qui se serait approché des remparts. D'une façon ou d'une autre, c'était Aimeric qui était responsable de la mort de Simon. Thibault en était convaincu. Il fallait qu'il éloigne ce traître, loin, très loin. Tandis ce qu'il approchait de plus du château, il menait une bataille de plus en plus difficile dans son esprit pour savoir s’il devait tuer Aimeric ou l'envoyer très loin.
Les cinq soldats et leur capitaine, Arnaud, avaient acceptés. Tous étaient d'accord pour suivre Aimeric dans sa fuite et dans sa trahison. Ils avaient passés entre eux un pacte silencieux, ils avaient vécu les mêmes traumatismes. Il n'y avait pas entre eux de hiérarchie, pas de rang, pas de droit du sang. C'étaient simplement des hommes dépassés par ce qu'ils avaient fait, fatigués de tous ces massacres, de tous ces sièges interminables, de ces attentes, de ces cris, de ces injustices. C'étaient simplement une poignée d'hommes qui n'avaient pas demandés à vivre ça en terre chrétienne. Taillés pour des combats de soldats à soldats, forgés pour la guerre contre des armées régulières, mais pas pour traquer et tuer des civils dont le seul tort était de s'être trouvés sur leur route, et qui avaient fait le choix de ne pas empêcher la libre pratique d'une religion. Des mois durant ils avaient portés la destruction au milieu de cette terre qu'ils ne connaissaient pas, mais qui était française. Beaucoup de chevaliers, d'aide de camps, d'écuyers étaient là pour l'appât du gain, pour des promesses de richesses et de conquête. La plupart des seigneurs du Nord avaient prêtés serment à l'Église, au pape et à Dieu. Mais en vérité, en vérité cette croisade s'était vite transformée en guerre de conquête d'un sud qui faisait rêver. Mais ce serment était limité dans le temps. Quarante jours. Mais on leur avait promis plus de richesses, plus de conquête, plus de rémission, plus de pardons. Tuer oui, mais tuer pour dieu, tuer pour le salut de l'église. Mais Aimeric et cette petite poignée d'hommes n'étaient pas de ceux-là. Ils étaient redevenus des êtres humains, arrivés au bout de leur chemin, au bout de leurs croyances. Et ils avaient acceptés en silence le serment que leur avait proposé Aimeric. Chacun avait compris que pour survivre à cette nuit, que pour qu'ils aient une chance de pouvoir fuir et commencer leur nouvelle vie, il leur faudrait s'opposer aux hommes du légat qui étaient de plus en plus proches. Aimeric ne se faisait pas d'illusion sur ce qui allait se passer, il savait bien qui arrivait en face d'eux. Il savait que les hommes qui arriveraient dans ces ruines, ne les laisseraient pas fuir.  Le crépuscule n'était pas loin, et avec lui c'était un nouveau jour. La nuit était devenue plus noire, le ciel avait perdu sa couleur rougeâtre. Il eut une pensée pour tous ceux qui avaient péris au loin alors qu'il prenait la décision la plus importante de sa vie. Lui avait le choix, eux ne l'avaient pas eu. Lui pouvait choisir son destin. Et entre lui et son destin, et celui de ceux qui avaient acceptés de le suivre, une dernière barrière se dressait.  Il ne savait pas combien d'hommes allaient surgir de la nuit, il ne savait pas exactement pourquoi ils étaient venus le trouver, mais il savait simplement que ses hommes étaient des guerriers. Des guerriers qui avaient combattus aux côtés des mêmes hommes qui allaient arriver. Pas plus aguerris, pas plus fatigués, ces soldats étaient pareils. Mais quelques-uns parmi eux avaient décidés de devenir maîtres de leur destinée.
 
Thibault franchi la porte du château en ruines, après avoir fait signe a ses hommes de rester en retrait. Il avança lentement à la lueur de sa torche, et découvrit Aimeric, et derrière lui cinq hommes en armes. Pendant un court instant, il hésita à continuer d'avancer.  Sa décision sur le sort d'Aimeric n'était pas encore prise dans son esprit. Il savait qu'il avait en face de lui un combattant. Même si lui et ses hommes avaient la supériorité numérique, ceux qui étaient en face savaient se battre. Et si les choses dégénéraient, l'issue de l'affrontement n'était pas certain.  Il fallait ruser, il fallait essayer de convaincre Aimeric avec le message du légat, message transformé. Mais en y réfléchissant, Thibault était convaincu qu'en éloignant le traître, en quelque sorte il lui sauvait la vie. Pour le moment. Cette chance qu'il s’apprêtât à lui donner il ne lui donnerait pas deux fois. Un jour viendra, un jour viendra où il réglerait ses comptes. Il le retrouverait, et ce jour-là, il vengerait son père. Aimeric avança aussi légèrement, mais il ne portait pas de torche a la main. Les deux hommes étaient séparés par quelques mètres, leurs hommes chacun derrière eux, dans un silence électrique. Alors même que ni l'un ni l'autre ne connaissait l'issue de la rencontre, Aimeric ne connaissant pas la raison de la venue des émissaires du légat, et Thibault ne sachant pas exactement comment il allait tourner son message ; tous deux ressentaient la tension palpable de l'autre. Comme s’ils n'avaient pas besoin que l'autre prenne la parole, ils savaient déjà au fond d'eux que à partir de maintenant c'était l'inconnu total. Ils étaient incapables de prévoir ce qu'il pourrait se passer dans les cinq prochaines minutes. Leurs hommes ressentaient exactement la même tension dans l'air. Tous avaient le visage grave et tendu, mains à l'épée. Ils étaient tendus, mais pas pour les mêmes raisons. Les hommes d'Aimeric parce qu'ils savaient ce qu'ils s'apprêtaient à faire, ceux de Thibault parce qu'ils ne savaient pas ce que leur chef avait prévu de faire.
 
C'est Aimeric, qui brisa le silence en premier, comme pour conjurer un sort qui était de plus en plus inévitable désormais.
 
-  Thibault, je n'ai pas eu l'occasion de te présenter mes cond...
 
-  Aimeric, Arnaud Amaury le représentant de notre très saint-père le pape te fait ordre de te rendre au plus vite aux abords du village de...
 
-  Et il t'envoie toi, fils de Simon de Montfort pour me demander d'aller attendre près d'un petit village, il n'a pas de mission plus importante à te confier en ce moment ?
 
- Le légat sait très bien ce qu'il fait, rends-toi là-bas sans tarder, tu y attendras les ordres du légat autant de temps qu'il faudra.
 
- N'oublies pas que tu t'adresses au chef de ...
 
- Je m'adresse à un serviteur du saint-père, un chrétien au service de l'église romaine, et qui reçois ses ordres de son représentant direct dont je porte le message et l'ordre.
 
- Je vais m'y rendre, ainsi que mes hommes. Mais avant permets moi quand même de te présenter mes hommages et mes condoléances pour ton père, c'était un combattant et...
 
- Ne crois pas que tu puisses parler de mon père comme si tu pensais savoir ce qu'il était, ni pourquoi il est mort. Mon père est mort parce qu'il a eu l'imprudence et la bêtise d'écouter ton arrogance et tes conseils, parce qu'il a pensé qu'il pouvait se fier à toi, voilà pourquoi il est mort.
 
- Thibault, je comprends ta douleur et ta colère, je comprends que tu aies voulu être là à ce moment dramatique, mais personne ne pouvait prévoir que les assiégés auraient eu ...
 
- Ça suffit ! Rendez-vous toi et tes hommes là où le légat te le commandes. Nos chemins se recroiseront, Aimeric.
 
- J'en doute, Thibault.  Mais peut être qu'ils se recroiseront oui.
 
Thibault fît volteface et tourna le dos à Aimeric et à ses hommes. Il avait réussi à envoyer le traître ailleurs, loin, attendre des ordres qui n'arriveraient jamais. Il finirait par se lasser d'attendre, et irais lui-même trouver le légat. Le temps qu'il se rende compte qu'il avait été dupé, Quéribus serait tombé, et Thibault arriverait triomphalement auprès du légat. Cette nouvelle victoire contre les hérétiques éclipserait les protestations d'Aimeric. Peut-être même qu'il l'accuserait d'avoir désobéi aux ordres en s'éloignant lui-même de la mission. Oui, maintenant il avait le champ libre pour agir et apparaître comme le seul assez légitime pour prendre la tête de l'armée des croisés. La respiration d’Aimeric ralenti légèrement quand il vit Thibault tourner les talons. Cela avait été plus facile qu’il ne se l’était imaginé. Il avait tenté de masquer comme il avait pu sa surprise quand il prit connaissance de la raison de la présence de l’envoyé du légat. Pourquoi Arnaud Amaury avait pris la peine d’envoyer quelqu’un d’aussi important pour délivrer un simple message comme ça. La tension qu’il avait ressenti dans les paroles de Thibault, sa façon de s’adresser à lui, ne faisaient que renforcer l’idée que sa présence ici n’était pas pour porter un simple message. Il le tenait responsable de la mort de Simon.  Mais ces questions-là, il en chercherait les réponses plus tard. L’essentiel était que les envoyés du légat s’en retournent de la ou ils étaient venus, sans avoir posé de problèmes. Même s’il se doutait que le message du légat avait probablement été modifié par Thibault aveuglé par sa colère et sa rancune, tout ça ne le concernait plus désormais. Tout ce qui comptait, était de disparaître. Peut être que Thibault avait raison, peut être que leurs routes se recroiseraient un jour et sans doute que les circonstances seraient toutes autres. Peut être même que la prochaine fois, la colère prendrait le pas sur les paroles et qu’ils finiraient par dégainer leurs épées l’un contre l’autre. Mais ça n’était pas aujourd’hui.
 
Parmi les soldats de Thibault, l’un d’entre eux ne pu retenir les paroles qui allaient faire basculer la situation dans quelque chose que les deux hommes avaient tout fait pour éviter. L’incontrôlable. Sans en avoir reçu l’ordre, le soldat ne se tourna pas comme les autres et s’avança vers Aimeric, après avoir jeté sa torche à terre entre eux. Avant que Thibault n’ai le temps de réaliser ce qu’un de ses hommes était en train de faire, avant même qu’il puisse réaliser ce qui allait se passer, c’était trop tard.
-         J’espère qu’on ne tombera pas sur ton frère, sinon tu seras obligé d’allumer toi-même le bûcher qui le purifiera.
 
Aimeric ne se vît pas tirer son épée que celui qui avait prononcé ces mots était à terre, la main tranchée dans une mare de sang entrain d’hurler de douleur.  En une seconde, tout avait basculé. Toute la tension, toutes les questions qu’il s’était posé avaient éclatées. Sa décision venait de se concrétiser de la façon la plus concrète qui soit, de la plus violente qui soit. Il n’était plus possible de fuir, il n’était plus possible de cherche une issue relativement tranquille. C’était maintenant que sa vie se jouait, le jour qui se levait pouvait être celui de sa mort et de celle de ses hommes. Comme il pouvait être le jour nouveau qui allait le faire renaître. En un éclair, Thibault avait dégainé sa lame, et fonçait vers l’affrontement. Les deux groupes se rencontrèrent dans le fracas de l’acier. Aimeric n’eut pas de mal à éviter les attaques frontales de deux soldats du légat qu’il transperça de bout en bout. Un de ses hommes tomba sous les coups de Thibault, qui assénait des coups d’épée avec une rage, presque une haine viscérale. Mais il savait que ses hommes n’étaient pas pour lui importants. Il leur hurla de s’écarter, que c’était à lui d’abattre le traître. Aimeric ordonna aussi aux siens qui étaient encore en vie de faire la même chose. Ainsi, les deux combattants se retrouvaient face à face. Les hommes avaient éteint et jetés les torches. Le jour se levait, une lumière hésitante envahissait petit à petit les ruines du château. La nuit avait commencé par une réflexion, par une décision radicale, elle s’était terminée dans le sang et dans l’affrontement. Les deux hommes ne bougeaient pas, tenants leurs épées à deux mains, ne voulant pas montrer le moindre signe de faiblesse ou d’hésitation. Comme si le premier qui allait flancher allait se faire tuer. Autour d’eux, leurs hommes respectifs rongeaient leur frein. Le soldat qui avait provoqué tout ça avait perdu connaissance, il était probablement mort d’hémorragie maintenant. Il ne verrait pas l’issue de ce qu’il avait déclenché par un excès de zèle mal placé. Il avait fallu une étincelle pour libérer la colère de Thibault, un prétexte, une bonne raison aussi infime soit elle. Son esprit se concentrait uniquement sur le moment présent, sur Aimeric. Il ne pensait pas aux conséquences que pourraient avoir sa mort, si c’est lui qui perdait ce duel. Peut importe les conséquences, l’important était qu’il avait enfin l’opportunité de venger son père, l’important était qu’il allait faire payer celui qui avait conduit son père vers une mort violente.  Le soleil apparu doucement, Aimeric détourna le regard pendant une demi seconde, la lumière l’éblouit légèrement.  Il n’en fallu pas plus à son adversaire pour foncer sur lui. Les coups pleuvaient, avec toujours plus de rage, toujours plus de haine. Thibault frappait vite, et frappait fort. Ses yeux étaient devenus aussi rouge de colère que le rouge des fumées qui s’échappaient vers le ciel a la nuit tombée. Aimeric vit un éclair d’acier s’abattre sur lui. C’était le coup qu’il ne réussit pas à éviter. Il ne vît plus rien, que le néant.