Cher bienfaiteur,


Comme vous le savez, j’ai survécu de justesse à diverses tentatives d’extermination planifiées en raison de ma race, de ma religion ou de bien d’autres critères. Ma survie n’a souvent dépendu que de motifs étrangers à mon droit fondamental de vivre. Mon existence ou ma mort ne sont, très souvent, que le résultat d’intérêts économiques ou de luttes d’influences entre puissances concurrentes. Jusqu’à présent, malgré la souffrance et la honte, j’ai toujours réussi à m’en sortir. Pourtant, cette fois, j’ai un curieux et sinistre pressentiment et il me paraît important de m’en ouvrir à votre grande sagesse. Avec ces modestes lignes, je souhaite donc, cher bienfaiteur, vivement attirer votre attention sur des risques de dérapages cataclysmiques qui me semblent désormais hautement probables. Mais venons-en aux faits.
Depuis quelques temps, à la faveur de difficultés économiques croissantes et généralisées, je constate des dérives que rien ne paraît pouvoir endiguer. Des tensions importantes entre états, imputables à quelques individus aux égos surdimensionnés, génèrent des effets déstabilisateurs un peu partout. Pour parvenir à leurs fins, ses mêmes personnes utilisent des procédés maintes fois éprouvés, tels que la peur et la haine, le chantage et le mensonge. Des tensions jusqu’alors jugulées renaissent. Une ambiance délétère s’étend au sein des nations. De fait, les fragiles équilibres entre états se diluent pour laisser la place à une désorganisation galopante. À noter que cette fois, cette petite fraction de puissantes personnalités peut aussi compter sur des progrès techniques considérables. Ces derniers leur permettent d’amplifier les effets de leurs actions pour étendre leur hégémonie sans commencer directement par une guerre. Je suis l’objet d’un jeux d’échec invisible où chaque coup détruit un peu plus des principes essentiels telles que la liberté, l’égalité et la fraternité. Chose surprenante et incompréhensible, il apparait aussi clairement que la dimension humaine ne suffit pas à ces fossoyeurs, car ils s’attaquent aussi à mon environnement. Face à ce travail de sape aux conséquences incalculables mais dramatiques, les populations semblent anesthésiées, voire médusées par la folie de ces quelques personnes qui détiennent un pouvoir exorbitant sur les affaires du monde. En y ajoutant des difficultés d’ordre religieux éparses sur le globe, la possibilité d’utiliser des armes au pouvoir dévastateur inégalé, vous conviendrez, comme moi, que nous nous orientons vers un problème complexe et global très difficile à régler.
Vous et moi savons que ces dérives ont déjà été constatées dans notre histoire et qu’à chaque fois, elles ont débouché sur des phénomènes de destruction massive. Cette fois encore, malgré les enseignements tirés du passé, il semble que la mécanique infernale soit de nouveau enclenchée. Pourtant, je vous assure que j’ai déployé énormément d’énergie pour faire de ma mémoire une véritable arme de dissuasion. Hélas, parmi nous, certains parviennent, en exploitant l’ignorance et la bêtise, à instiller des mensonges pour en faire des vérités mortifères. Quand en outre, je vois l’utilisation qui est faite des réseaux sociaux, où une bonne partie de mes congénères diffuse sciemment toutes sortes de fausses informations, ou les propagent bêtement sans vérifier leur bien-fondé, je me dis que le combat de la vérité est quasiment perdu. Les théories du complot, utilisées par certains vont en effet bien au-delà du simple petit calcul politique local, car elles annihilent la confiance de l’homme dans son histoire et détruisent toute forme de solidarité. Les individus à l’origine de telles théories ne le comprennent sans doute pas, mais ils agissent en qualité de fossoyeurs de l’humanité.
J’ai accompli d’énormes progrès scientifiques pour aplanir les différences, renforcer l’égalité et la solidarité, offrir un monde sans guerre où les besoins seraient automatiquement comblés. C’est toujours ma volonté, mais là encore, pour chaque découverte, l’un de nous exploite sa face cachée pour en faire quelque chose de nuisible. Est-ce inhérent au progrès ou à la bêtise humaine ? Je vous avoue que je suis las de m’interroger sur la nature de l’homme, ma nature profonde. Pour tout vous dire, je me considère comme un miracle évanescent et je pressens que mon sursis touche bientôt à sa fin.
Cher bienfaiteur, j’ai conscience de mon indignité, mais s’il vous plaît, cette fois-ci, faites le bon choix. Si vous estimez que mon avenir a un intérêt à vos yeux, aidez-moi. Si l’idée contraire vous venait à l’esprit, ce que je n’oserais vous reprocher en raison de notre comportement perfide, alors, n’hésitez pas et frappez ! Frappez de toutes vos forces et ne me laissez aucune autre chance de vous décevoir. Enfin, si vous deviez choisir l’apocalypse, dites-vous bien que j’éprouve presque un soulagement, car dans le chaos qui dominera ensuite ce monde, il ne restera plus personne pour pervertir la nature de mon supplice.
Dans l’attente de votre décision et avec tout le respect que je vous dois en qualité de créateur universel.

Respectueusement, l’Homme.