J’ai fait un rêve
:copyright: David Guidat – 2021
 
Finaliste au concours de nouvelles organisé par Dixily
 
" 23 h… En cette soirée du 17 novembre, la pluie tomba sans discontinuer accompagnée d’un vent violent. Les fenêtres de la chambre étaient détrempées. Les éclairs illuminaient la pièce jusqu’à lors plongée dans l’obscurité. Le tonnerre grondait et résonnait dans ma tête. Je n’arrivais pas à me reposer malgré la fatigue qui pesait. Je me recroquevillais sur mon lit où je fixais le plafond blanc. Un vent glacial parcourait la pièce et je mis mes pieds sous les draps pour me réchauffer. Je fermai les yeux en faisant abstraction du vacarme externe, mais en vain. Ma concentration fut perturbée par le claquement de l’eau et des branches de l’arbre sur les vitres de la chambre. Je n’avais qu’une hâte, de pouvoir fermer les yeux et m’endormir. Je me saisissais de mon smartphone et de mes écouteurs. Je mis en route ma playlist de musique zen pour m’évader et oublier tous mes soucis. Au bout de quelques minutes, je me sentis partir et mes paupières se fermèrent.
 
Je sombrais dans le pays des songes, dans la torpeur incandescente de cette nuit si particulière. Je fis ce rêve qui me subjugua par sa beauté et sa ferveur. Elle était là devant moi, elle me souriait… Ma femme au visage rond avec ces petites fossettes qui se dessinaient sur ses joues. Elle vint vers moi et me tira par la main. Nous étions installés sur la terrasse de notre maison, au bord de la mer. Le soleil illuminait le ciel et le bruit des vagues résonnait comme une partition de musique. Au loin, sur la plage, j’aperçus mes enfants qui se débattaient pour construire un château de sable. Leurs rires me donnaient du baume au cœur et je me sentis apaisé et heureux.
 
Pourquoi me trouvais-je là ? Pourquoi ce rêve avec ma femme et nos enfants se situait-il au bord de la mer, dans cet endroit paradisiaque ? Nous habitions dans l’Est de la France et ce cadre idyllique nous paraissait inaccessible. Nous souhaitions chaque année partir en vacances pour sortir du carcan de notre routine, mais les aléas du quotidien nous contraignaient à renoncer à cette évasion.
 
Peut-être que ce rêve me démontrait une vie aspirée, mais jamais concrétisée. Pourquoi d’ailleurs cette rêverie ne se serait-elle pas réalisée ? Je n’en connaissais pas la réponse. Je savourais l’instant présent et je retrouvais mes enfants pour partager un moment heureux. Ma femme nous prenait en photos. Nous respirions le bonheur. Plus rien ne nous atteignait. Mais ce rêve était saccadé par de brusques arrêts comme si j’allais me réveiller. Je ne le souhaitais pas, je désirais encore profiter de l’instant. Je ne voulais pas me séparer de celle que j’aimais par-dessus tout et de nos petits. J’allais devoir m’éveiller dans cette chambre lugubre, seul.
 
Je sortis inexorablement de ma léthargie et j’ouvris les yeux. La pièce était vide, sombre. À l’extérieur, le calme relatif était revenu. La présence de ce vent froid me glaçait le sang. Il entourait mon corps comme des liens qui se serrent de plus en plus fort. En clignant des yeux, je vis le souvenir du visage de mes enfants arborant un large sourire et en m’adressant des signes de cœur fait avec leurs doigts. Ma femme était assise près de moi et me tenait les mains. Des larmes se mirent à couler sur ses joues. Je vis de la détresse dans son regard. Je comptais les je t’aime qui sortaient de sa bouche. Quelque chose se passait… Ce n’était plus un rêve, mais le début d’un cauchemar.
 
Mes yeux s’ouvrirent et j’aperçus des silhouettes dans la pièce. Je ne pouvais plus bouger. La musique provenant de mon téléphone s’interrompit et des voix se succédèrent dans une cacophonie extrême. Un bruit strident retentit dans la chambre et l’ombre d’une femme s’approcha de moi. Elle me hurlait dessus sans comprendre le moindre mot. En tournant la tête sur ma gauche, j’entrevis le moniteur cardiaque où les graphiques s’affolaient. Je me trouvais dans un hôpital. Ce n’était plus un rêve. Les médecins se ruaient sur moi pour me garder en vie. Mon corps et mon esprit me lâchaient. Je n’avais plus la force de maintenir mes yeux ouverts.
 
Je marchais doucement sur ce rivage de sable fin où je longeais le bord de la grande bleue. Mes pieds nus laissaient apparaître mes empreintes qui s’effacèrent au retour de la mer sur la plage. Ma femme et mes enfants se trouvaient à quelques encablures. Nous étions tous habillés de blanc, la couleur de la pureté.
Je compris que ma dernière heure était arrivée. Le cauchemar de l’hôpital, le rêve d’une existence meilleure et le clap de fin, une succession d’évènements qui allait me conduire sur les chemins d’outre-tombe. Mourir sereinement, partir heureux malgré la peine des proches.
 
18 novembre… 2 h 30 du matin… Le rêve s’arrêta en même temps que mon cœur. Le corps médical aura tout fait pour me retenir, pour me garder, mais le mal a été plus fort. Il a détruit ma vie, celle de mes proches, mais je sais que je suis décédé en rêvant des personnes que j’aime.
 
J’ai fait un rêve… J’ai fait ce rêve de partir avec dignité. Le cauchemar fut un adversaire redoutable, mais je n’ai pas souffert. Même dans les étoiles, je continuerai de rêver… À toi, ma femme. À vous, mes enfants ! "
 
FIN